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Le Phonème Bohème
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Le Phonème Bohème
9 mars 2024

Le macrocosme

Je n’apprécie plus tant les êtres qui se matérialisent en se faisant pousser de la chair autour de leur vision d’eux-mêmes, depuis qu’ils me font penser à l’humanité. La volonté de l’inconscient collectif, que celle-ci unifie toutes les races de la terre ou d’ailleurs ou bien non me semble tyrannique par essence. Ses tentacules invisibles ne sèment ni l’élégance ni l’émerveillement derrière les prunelles des représentants terrestres. L’humain ceci, l’humain cela. Ça va bien faire. Tous les animaux aussi, et les plantes pourquoi pas? Nous avons simplement parachevé l’art de métamorphoser le vivant en fresque éternelle et expansive où grouillent les vers de l’envie, mus par la décrépitude de tout ce qui est organique, délicat, effervescent. Nous ne sommes pas des guerriers. Nous sommes des bergers, épris d’étoiles, errant derrière le voile d’une brumeuse pollution transcendantale. Trop la respirer, c’est explorer le pays des ombres avant l’âge. Nous ne sommes pas. Ensorcelés par la grisaille du sédentarisme, que reste-t-il de notre courage archaïque, de nos pas légers et grands, de la virtuosité du chasseur-cueilleur de papillons et de fleurs? Ne sommes-nous plus les poètes de l’existence? L’onde onirique ne s’exprime plus à travers nous que durant quelques instants de sommeil paradoxal, de rêvasseries enfantines ou d’épiphanies produites en série. Les oraisons se font rares. La sérendipité se sclérose dans l’œuf. Et les bêtes se cachent sous leur peau, dans le noir, craignant l’humain de tous les pores de leur être. Et ils font bien. Mais s’entredévorant, les passages par où s’infiltraient, par où s’exfiltraient les balbutiements de leur narration mouvante et vivace s’amenuisent. Ils devraient tous plutôt nous prendre pour cible, de leur bec, leurs mandibules, leurs longues dents, leurs lèvres, leurs crocs, leurs… Pleurs! Ce qui m’amène à croire que l’inconscient collectif est aveugle, étranger à certaines notions et allergique à l’avenir, entre autres caractéristiques. Par le biais de l’import-export, nous avons parachuté des fourmis qui font génocide de toute chair, qui dévorent les crabes sur la grève lors de la saison de la reproduction à l’étranger, rompant l’équilibre des forces sous-jacentes au territoire. Mais nous n’avons rien inventé. Les massacres interraciaux n’ont jamais été l’apanage de l’humanoïde, peu importe la variété, le spécimen. Certains bipèdes ont simplement du talent pour gâter le vivant. Quant aux autres animaux, ils n’ont pas le monopole en matière de migration. Les végétaux pérégrinent itou, à flanc de montagne, dans les entrailles volcaniques, toujours plus près des nuages et autant au nord que possible. À petits pas de pépins. De toute la fureur rampante de leurs lianes. Lichen ou bonzaï. Séquoia où frêle essence se confondant avec un cousin sylvestre, une fille recelant la même sève en son sein. Alors, qu’on ne me les casse plus, par tous les dieux. N’étant pas si différents des autres, toujours une partie chaotique de l’empire vertigineux du vivant en nous, ce qui dans chaque organisme fait pousser des yeux et répandre la compréhension du monde malgré soi est cette tendance immémoriale à moissonner les atomes pour générer du nouveau, vivace. Tu as hérité de quelques atomes solaires et la lune vit dans mon cœur. Des baleines oubliées de tous chantent sous l’épiderme de ton voisin. Que ce soit par le biais d’un appareil sensoriel nimbant l’interprétation qu’on se fait de l’univers, par l’intermédiaire des songes, quelque chose de plus profond dans l’être prend la parole, génère une onde sémantique, une salve instillant l’envie de mouvement chez son hôte. Tous les animaux et les végétaux de la terre sont récipiendaires d’un fragment de conscience propre ou, plus tristement peut-être, nous n’en avons pas. Ne pourrons jamais en être destitués. Ne serons jamais les héritiers de savoirs et d’usages qui peuvent bien s’exprimer à travers d’autres êtres animés que nous. Et n’est-ce pas romantique, enivrant, poétique d’être ainsi dépendant de l’impermanence de toute chose? Tout le troupeau des âmes qui explorent la biosphère loge sous une enseigne semblable, à bord d’une arche aux contours symboliques, abstraits, métaphoriques…

Toc, toc, toc!

-Hiuuurhiiii!

Se retournant, et pour avoir le privilège de l’admirer, dans le secret de son cœur : « Bon matin ma chérie! Comment vas-tu? Et pourquoi imites-tu le bruit d’une chaise berçante qui grincerait? »

-D’une porte.

-Quoi?

-D’une porte qui grince. Pour timidement m’annoncer, sans trop te déranger. Et « bon matin » est un anglicisme, tu sais?

-Oui, mais j’adore les matins, alors je t’en souhaite un fabuleux malgré tout.

-Merci à toi, ô matutinale entité radieuse, et qui s’est levée dès potron-minet, sans réveiller sa charmante et chaleureuse copine, et lui pardonnera-t-elle jamais?

-J’espère qu’elle lui… qu’elle me pardonnera.

Enlacé de toutes parts par sa copine trop jolie pour que la prunelle des morts ne s’embrase sous terre, que les nuages ne s’éventrent lors d’orages, savantes et célestes décharges orgastiques, que mille oiseaux du paradis ne fracassent le quatrième mur, la baie vitrée de ce que d’aucun considèreraient presque comme la réalité tout nue, monsieur luttait contre la tendance qu’avait cette partie-là de son anatomie à se gorger de sang, et n’étant plus que corps caverneux, délices à leur état le plus pur, il soupira et fondit dans les bras de mademoiselle.

-C’est du sabotage!

-Quoi? L’amour? Évidemment que c’est du sabotage! Le début des glaires sera la fin de toutes les guerres, c’est clair!

-J’étais en train d’écrire, j’entends.

Baiser sur la joue. Décharge de plaisir propulsant le biotope à son paroxysme.

« La biocénose ne s’en portera que mieux, et bientôt, je porterai ses fruits en moi, et nous aurons des enfants heureux comme des multivers qui se multiplient à l’infini », songea Alice à part soi. Elle fomentait dans l’ombre pour mettre l’épaule à la roue de la vie. Son sourire, son impétuosité, ses taches de rousseur, ses longs cheveux châtains, sa voix chaleureuse et incandescente, tout d’elle participait à générer des perles de beauté dans la fange de la réalité. N’y tenant plus, oubliant d’enregistrer son récit, il riposta d’un baiser sur la joue de sa douce qui l’acheva de baisers, de courageux coups de la pointe de la langue et de morsures généreuses dans son cou à lui. Chaque atome du peuple de ses viscères en exil gravitait autour de cette femme inoubliable.

-Monsieur Raphaël, je crois que je vous aime un peu, beaucoup.

-Me concèdes-tu une dernière petite heure d’écriture, mon amour? Mon exercice n’est pas encore terminé.

-Si tu peux vivre sans moi pendant une heure de plus, soit.

-Si difficilement, et pourtant merci.

-Muscle-toi bien la psyché, mon chéri. Va, vole, voyage dans l’acte de créer, et me reviens avec des croissants et du jus d’orange, pour le petit déjeuner.

-C’est convenu, étoile de mes nuits.

Et l’apprenti-écrivain pour son plaisir se claquemura dans sa propre psyché. Ses neurones tranchants comme un couteau de pêcheur lui servaient à ouvrir l’huître de l’inspiration pour en extraire quelques bulles d’oxygène par ici, une perle rarissime par là. Et une perle, qu’est-ce, sinon quelques grains de fable s’agglomérant envers et contre marées, litanies littorales, ascensions alcyoniennes et plongée en Cassandre dans les abysses sibyllines de la sémantique, des tréfonds de la forme? Raphaël ne pouvait cesser d’écrire trop longtemps. Autrement, il se fossilisait, s’oxydait, se voyait absorbé très complètement par les flots algides de son ombre, et celle-ci recrachait très bientôt celui-là avec la force de l’anémone vorace ne laissant derrière elle que des arêtes. Lorsque la page blanche le lorgnait d’un air méprisant, il s’imaginait devenir l’écume, se fondre dans plus grand que lui et s’oublier enfin au profit du grand œuvre. Lorsque cela ne fonctionnait guère, il optait pour la stratégie du concombre de mer, éjectant ses organes vitaux en guise de leurre tout en se propulsant quelques mètres plus loin, attendant dans le silence que ses viscères (inspiration, talent, imagination) se régénèrent. Dans sa poitrine battait une espèce de peur philosophale. Peur de n’exister pas, de n’avoir rien à transmettre, de ne savoir rien exprimer, et qui vaille la joie d’être partagé.

Lui et sa compagne vivaient en un lieu tout au Nord de la vie et qu’on n’ose nommer, de peur d’invoquer rafales, grêlons et tempêtes pénétrant par tous les orifices de sa chaumière. Au bord de l’océan, dans un pays de gerçures sans cesse poli, tourmenté, irisé par la fierté infinie de flocons renvoyant la moire de rêves innombrables hallucinés par quelques quidams assez fous pour vivre là, justement. Statues de chair et de glace, les pingouins qui s’aventurent trop longtemps à demeurer immobiles perdent l’usage de leur bec, dans ces contrées hiémales. Or, Alice et Raphaël faisaient tous deux partie d’une race prodigieuse de mammifères hyperboréens capables de subsister malgré le froid. Leur psyché vagabondait au diapason à l’endroit marqué de l’ombre des étoiles où aimaient à naître des jardins d’aurores boréales. Et à l’endroit de la poitrine, l’organe fongique de ces deux amants de la nature pulsait, étendait ses ramifications sur des kilomètres d’éternité, projetant les fruits du bonheur partout autour, en un blizzard sporagineux. Les quelques arbres morts des environs étaient un sarcophage pour les polatouches et les rejetons des grands pics. L’ambre métamorphique qui oscillait entre cristallisation muette et élixir sylvatique sous le couvert de l’écorce de chaque souverain végétal suggérait la célébration toujours renouvelée d’une équinoxe imaginaire, la plupart du temps. Le pouvoir psychique de conceptualisation de tout écrivain, apprenti ou féru d’acrobaties littéraires célestes s’acquérait inéluctablement par la remembrance de l’aspect véritable des essences naturelles. Leur nature pérenne. Enfin, tout aurait été sublime dans ce paradis aux orgues de glace, aux forêts de conifères enneigées et aux plaines servant de piste d’atterrissage à des anges frigides au regard d’un bleu flamboyant et impitoyable, si la température globale de la stratosphère ne s’était mise à grimper. Les degrés s’accumulant mirent fin aux neiges éternelles. De nouvelles créatures infestèrent ce recoin du globe, tyrannisant celles qui subsistaient jusque-là avec grâce, élégamment. Les incendies se firent de plus en plus fréquents dans le grand nord, là où la sylve laissait jusque-là entrevoir des festins d’oxygène en guise d’offrande à la faune, humains inclus. Le peuple orgueilleux d’avoir survécu si longtemps aux grands froids apprenait alors que des paysages flirtant avec le zéro absolu et des zones gelées depuis des millénaires fondaient à une vitesse fulgurante, toutes voiles vers le septentrion. Le patrimoine territorial cryogénisé s’évaporait de la façon la plus abracadabrante qui soit, à raison de plusieurs milliers de kilomètres en moins d’une décennie. Et le plus inquiétant tenait au fait que le réchauffement des eaux agissait comme un sorcier fou, un maestro dément altérant les courants marins du bout de sa baguette tragique. Cela se traduisait par la déperdition d’Amphitrite et le réchauffement mortifère de ses glaires devenues tiédasses par endroit. Certaines espèces pressentaient leur aiguillon biologique devenir détraqué et allaient s’échouer au bord de la grève, où touristes, voyageurs, pêcheurs ivres du devoir de rendre à la mer ce qui appartient à la mer mettaient tout en œuvre pour remettre à l’eau baleines, monstres marins, calamars géants. Des espèces mortelles viennent fleurir les côtes et l’abord des plages. Ainsi, des marées nébuleuses de méduses quasiment invisibles à l’œil nu se dessèchent sur les grèves ou piquent les plongeurs à leur insu. Une piqûre absolument venimeuse et tout à fait indolore; une mort silencieuse dans les bras de mer de Gaïa. Peut-on se figurer un moyen plus romantique, touchant, poétique de casser sa pipe? La thalassothérapie et la thanatologie unissant leur savoir pour faire rayonner le plus grand des pouvoirs : la science.

Plus vivant que mort, sous la douche qui pleut des hallebardes, mademoiselle s’acharne sur des points stratégiques de l’anatomie de Raphaël, qui est aux anges. Elle persévère, fleur sauvage au sommet de l’évolution, orchidée divinement carnivore laissant pousser ses tentacules tout le long de ce mannequin organique qu’est le corps de son amant, offert sans partage à ses muqueuses d’une douceur insupportable. C’est la lente pérégrination de ses lèvres le long de son dos, de ses hanches… Deux lèvres qui papillonnent, se métamorphosant en baiser. L’exode de ses meilleures intentions en des territoires inexplorés, la salive s’érigeant telle des cathédrales cristallines, arachnéennes, diaphanes. Basilique spumescente érigée en le nom de l’amour, elle devient l’élément eau dans son expression la plus sincère, épousant tout des mouvements de son adversaire, le stress de Raphaël se dissout, se désagrège, se pulvérise très inexorablement sous les caresses d’Alice. Et comme rien ne se perd, que rien ne se crée, les atomes mêmes de l’anxiété sublimée dans l’acte d’amour se réincarnent sous forme de rires partagés, de sourires consentis, de gémissements concédés. Mademoiselle la walkyrie piétine le corps de son bien-aimé comme si ses os étaient de verre, du bout d’une langue serpentine. L’âme qui se distille avec fracas. Fragmentation de fond de la personae. Rayonnement de la psyché en plein pays des ombres. Accéder à soi, se découvrir, tout en jouant le jeu de la bête à deux dos, chantonnant dans les tréfonds de leurs méninges des airs de Brassens. Ne plus y tenir. Se fondre dans l’autre. Murmurer le néologisme « identiterre » et ne plus savoir que devenir, sinon soi-même, émancipé de la gravité sociale, de ce vortex qu’on aime oublier et qui ressemble à s’y méprendre au regard de milliers d’inconnus ou de connaissances qui pèsent soudain si peu dans la balance de la conscience du soi qui s’évapore. Absorption, acceptation, dissolution. Devenir étranger à soi-même. Se « devenaître » envers et contre tous les compromis exécrables qui traînent la dignité des plus libres dans la fange du quotidien abrutissant. Un farfadet au cœur éléphantesque, colossal, gargantuesque parmi tous les hommes. Des mâles cachés derrière leur peau de goupil à l’intarissable appétit. Se propulser tout entier, enfin, dans la fleur de chair de celle qui se dévoile sous un tout autre jour. Une intelligence, un instinct, un désir qui ne proviennent définitivement pas d’une zone identifiée de l’orbe terraqué est à craindre dans les prunelles extraterrestres de mademoiselle. Dans les globes oculaires d’Alice, pas de pays des merveilles, d’Eldorado doré, d’oasis luxuriante fustigée par le sirocco, mais y croupit bien plutôt une sorte de jardin des délices comme celui entraperçu par Bosch. La rumeur d’une entité  sibylline, cataclysmique, post-apocalyptique rampant, grouillant, répandant ses tentacules tout partout au sein de Raphaël, le prolongement de la libido légendaire de mademoiselle. Et comme il fait bon s’emparadiser, se contre-aimer, se célébrer de tout son appareil sensoriel et s’unir pour se devenir, contrée charnelle formidable, exotique, phantasmatique qui ne pardonne aucune faiblesse, n’accorde nul repos.

-Fais-moi du bien, ma chérie…

-Pas tout de suite, preste lutin précoce. Et appelle-moi Déesse Ténébreuse!

-Mais tu es mon « Orchidéesse », lumière de mes nuits.

-Pas aujourd’hui, petit malin. En ce moment, ne désires-tu pas être rien qu’à moi? Être malmené quelque peu, joyau tout au chaud dans l’écrin des supplices?

-Déesse Ténébreuse!

-Joyeux lutin trublion?

-Mmmmh!

Et la biodiversité peut bien pourrir mille morts plus incongrues et grotesques les unes que les autres, les soirs de pleine lune, car mademoiselle se veut le réceptacle vivace de son prodigieux partenaire d’oreiller. Sous la douche pour commencer, et puis parmi les couverts de table et la porcelaine, sur un meuble rustique en ayant connu d’autres. Et puis, rikiki chevalier d’industrie aux oreilles pointues la porte jusqu’à la couche nuptiale, la câlinant de ses bras tandis qu’elle l’étreint de ses cuisses de nageuse sportive, et c’est le plus charmant et agréable combat qu’on ait vu entre deux oiseaux, de mémoire de colombophile, et si leur voisin voyeur n’est pas aux oiseaux, eux le sont et il admire d’une main, jumelles dans la gauche, dieu sait quelle chose absurde dans l’autre les amoureux qui batifolent, exécutent des voltiges savamment orchestrées, planent en rase-motte tout près du sol, parachèvent des loopings et s’écrasent quelques instants dans des déflagrations suivant des acrobaties aériennes incomparables.

Après s’être dévorés comme deux araignées cannibales des heures durant, le sommeil du juste vient leur trancher le cou dans le cocon où ils s’étaient tapis, allergiques passé minuit à toute forme de luminescence. Les joyaux qui vivent sous leurs paupières se rassérènent, à l’abri, enchâssés dans leurs quatre orbites. Ils s’enfoncent dans des songes improbables via un portail onirique où l’une devine le reflux d’énergie psychique de l’autre et l’autre, le retour de lame écumeux de l’esprit dulçaquicole de l’une, et où se réverbèrent inlassablement les contours de Séléné, soleil des loups. Comme il fait bon laisser l’esprit se dissoudre dans l’abstrait vertigineux où scintillent des étoiles, articulations radieuses de la constellation d’Andromède! Alice digère les moindres désirs de Raphaël, toujours un peu de feu au ventre (ou des flammeroles, peut-être?), sous forme de rêves coquins, alors que Raphaël cesse d’exister pour lui-même, aux abords du sommeil profond. Tous leurs soucis ont été phagocytés lors de leur union. Il ne leur reste plus qu’à fantasmer, assoupis, qu’il leur pousse des plumes. Qu’ils rejoignent en quelques battements d’ailes prophétiques des nuées de figures stylistiques hautement volatiles et des troupeaux de métaphores météoriques. Et quelle forme prennent ces aérolithes poétiques, sinon celle de l’inénarrable, de la migration, du voyage initiatique? Comment savent-ils naviguer si aisément parmi les corps célestes miragineux ou négocier du terrain aux étoiles filantes et aux ceintures d’astéroïdes, s’ils ne sont pas eux-mêmes venus sur terre à bord d’ovnis, des âges avant l’invention de la machine à expresso, de la danse du robot ou du temps? Fusionnant avec l’essence du cosmos, ils plongent rejoindre le courant des atomes effervescents de toute chose ayant eu des yeux, des nageoires, de l’écorce, une volonté très différente et une lenteur minérale, la taille des grands sauriens ou la mémoire du séquoia, par le passé. Ils expérimentent ce que c’est que de vivre la nature de l’inconscient collectif de leur espèce et des autres créatures aussi. Les multivers ne sont pas jaloux. Ils vibrent, expriment leur énergie à leur façon tout énigmatique et pourtant si limpide que plus rien ne sert de se justifier, de chercher des questions aux réponses, de sortir la tête de l’autruche, alors que la réponse, c’est l’autruche elle-même. Les espaces au sein de la temporalité deviennent des mangroves généreuses, des lieux de repos où la tendance à générer du sens peut se désagréger comme chaque particule d’un jardin zen. Dans neuf mois, ils auront un enfant. Une petite fille qui prendra part au dessein du vivant. Chacune de ses cellules, et à l’intérieur de ces cellules, chacun de ses protons, de ses neutrons, de ses électrons ira courtiser ce qui est encore plus grand qu’elle. Elle sera l’être archangélique, éthéré, féerique donnant à la biodiversité tout son sens. Fragment d’éternité dans un si petit corps, elle occupera le plus clair des instants qui lui seront impartis à faire vivre des métaphores, à vivre la tête dans les nuages, à parler aux aspioles et aux langages. Elle sera douce comme la neige. Déjà, un fœtus murmure la beauté et dessine des glyphes du bout des doigts qu’il se représente inconsciemment, dans le ventre d’Alice. Et Raphaël verse une larme nocturne.

« Quand je serai grande, je serai le macrocosme. Je serai ressenti, contemplation, bulléité (un néologisme). Tiens, qu’est-ce qu’un néologisme? Et est-ce que ça a la moindre importance? »

La pleine conscience sèmera l’instant présent dans les cratères de la lune et elle visitera celle-ci et tellement plus, toutes les nuits. Quelque chose comme le flux de sens inconditionnel circulera entre elle et les noyaux de l’hyperconscient collectif, nourrissant la curiosité absolue et sans interprétation de ce qui est. Qui est. Quelque chose de cette nature continuera d’exister dans les entrailles et les grandes profondeurs de l’esprit des animaux; bernaches, caribous, orques et même certains humains exploreront les moindres recoins du réel, qu’on le conçoive comme enveloppé du voile de la Mâyâ, comme un concept enraciné dans le contexte ou comme une idée absolument inaltérable. Et puisque ce qui ne vous tue pas vous rend plus fou, les bêtes animées évolueront au travers de l’espace-temps selon leur méthode, ce que d’aucuns se figureront comme de l’errance, de la démence, une forme d’abdication face à des forces gouliafres par nature. Essaimer, papillonner, migrer d’un centre énergétique à l’autre pour sustenter un organisme à la mécanique séraphique et aux engrenages originels, et qui ne se dévoilerait pour rien au monde, quitte à être confondu avec les abysses, le néant, le non-être. Cheminer avec rien dans son baluchon, plus léger que lors d’une épopée en caravansérail, électron libre de parcourir les confins intersidéraux. Et entrevoir, au détour des petits gestes et des révélations qui transcendent l’aspect livide du quotidien, qu’on naît plus grand que soi et qu’il ne reste plus qu’à découvrir la profondeur infinie de ce qu’on est. Raphaël élucubrant des contes philosophiques quasiment inspirés de la plume de Voltaire. Alice copulant avec un astre coruscant, diapré, iridescent revêtant les contours de ce qui est inaltérable, sauvage, indomptable. Leur petite engendrant nébuleuses, matière noire et supernovas lors de visions, d’illuminations si inspirées que chaque particule ayant accédé à l’existence dans le regard d’autrui sera heureuse de s’en émerveiller. Dansant et chantant, mi-lune, mi-soleil, semant des galaxies dans le terroir spatial pour cultiver des sourires et transcender la logique sacrificielle qui pousse à s’offrir à plus grand que soi pour se souvenir qu’on est l’hyperconscient universel, et bien au-delà. Les cellules, les atomes des créatures biologiques continuant leur marche perpétuelle et les rivières humaines s’en inspirant, intuitivement. Parce qu’il y a deux sortes de destinées pour un astre solaire : devenir trou noir sédentaire ou étoile filante nomade. Et qu’il fait si bon plonger les racines dans le mouvement, découvrir qui l’on est lorsqu’on prête une oreille attentive à sa boussole interne et qu’à l’origine des cataclysmes constituant chaque strate de qui l’on entrevoit à travers soi-même, passé le miroir des apparences, il y a le vécu d’un bédouin dans lequel s’enchâssent des contes mirifiques. Les airs exaltants du manouche qui fait caravane de tout lieu, accueillant ou hostile. La sémantique légère et capricante, la forme inspirée, les phonèmes aériens du bohémien épris de tout ce qu’il y a de poétique de ce côté-ci de la création. Et c’est déjà bien, oui?    

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