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Le Phonème Bohème
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Le Phonème Bohème
27 janvier 2024

Agua de estrellas

Papa était chercheur d’eau; celui-là est chercheur d’or. Il n’aura peut-être pas plus de chance, mais en tout cas, il cherche quelque chose. Heureusement pour moi, j’ai toujours eu du flair, ai toujours su que les hommes, s’il faut les prendre au sérieux, ne sont au mieux qu’une forme de ponctuation dans l’ennui quotidien. S’il fallait farfouiller dans les entrailles de la nuit pour en extirper sa destinée, on serait dans l’embarras de devoir tabasser les déesses de Parques pour leur reprendre son fil de vie. J’ai déjà eu un destin, bien avant les hommes. Je regardais les étoiles dans la nuit et inventais des constellations de mon cru, me demandant timidement ce que ce serait que d’être une étoile.

 

Papa était chercheur d’eau. À sa façon de prodiguer l’amour oral à ma mère, qui hurlait de joie dans leur chambre, je crois qu’il sera parvenu à trouver le ruisseau cyprine. Ma mère trouvait mon père plutôt idiot, mais qui s’amouracherait d’un idiot, sinon une sotte? Papa s’est noyé dans maman, dans ses attentes, son égo plus tonique, ses remontrances, sa négativité. Il a bu à la mer et une eau saline lui a brûlé le gosier.

 

L’autre bougre est chercheur d’or. Enfin, de ce qui est mordoré, cuivré, orangé. Il est photographe. Il prend en photo le réel comme pour le fossiliser dans un instant présent bidimensionnel et désincarné. Il chasse le spectre des choses. Un bon moment de la journée pour photographier le monde, c’est l’heure après le lever du soleil ou celle avant son coucher. Ce moment tant convoité confère une couleur surréelle au monde. La banalité du quotidien et du décor ont droit à leur réincarnation, à un instant de gloire, à ce moment. L’appareil photo possède une intelligence insecte avec laquelle il transcende ce qui est terne et gris.

 

Je ne sais pas pourquoi je m’intéresse à un homme qui ressemble à papa, puisque papa a sombré dans la folie, que maman a participé à distendre sa perception du réel, à la rehausser par des distorsions que son regard en forme de reproche façonnait à la perfection, sans même qu’elle le sache. C’est d’ailleurs là que la magie opère. Elle n’est pas très généreuse d’elle-même, ma matrice de mère. Elle agit comme une sainte, mais son utérus me fait l’effet d’une ruche. Pas que papa ait été sans reproche. Un homme opaque, sans rêve, sinon celui de détecter la source de toute chose, qu’il avait cherchée dans la bible, la littérature, les écritures alambiquées de sectes satanistes plus trop à la mode. D’ailleurs, mon amant lit aussi. Il lit sur la conquête à un niveau atomique, énergétique de l’or du monde. Il plonge souvent le nez dans les livres d’alchimie. Son but? Transmuter tout instant en une occasion de prendre l’essence du réel en photo, et de manière séduisante. Parce que pour l’instant, et c’est source de terreur pour lui, lorsqu’il fait trop clair dehors, l’objectif de son appareil absorbe un excédent de lumière et ne peut plus se nourrir de sa relation au réel, lequel s’assombrit et c’est comme si la caméra devenait une araignée cannibale se nourrissant d’elle-même et ne laissant plus de place à une articulation entre soi et le monde, quelle qu’elle soit. Faut-il vraiment que l’un fuie la source tandis que l’autre la cherchât?

 

Qui plus est, cet amant a de nombreuses identités, prêtes à porter, qu’il offre aux gens selon le milieu, le contexte, l’envie. Qui est-il, avec ses mille visages de cristal et cet aveuglement qui fait qu’il ne sait pas, ne sait plus être cohérent dans le choix duquel de visage offrir à ses semblables? N’est-il pas dissonance au milieu de tous ces corps qui résonnent au gré d’une âme identique à une algue bercée par la houle?

 

Quand mon paternel s’est réfugié au cœur de lui-même, dans un pays d’ombres végétales et de créatures aveuglantes dont la danse mystique altérait jusqu’aux circonvolutions lunaires, j’ai commencé à grandir seule, vraiment, comme une plante répond aux contraintes de l’environnement, au bitume étouffant, à la violence de l’intervention humaine, poussant en dépit des insolences d’un contexte labyrinthique, mais à quel prix? À en croire mon psychiatre, je grouillerais de pathologies. Une identité aux contours flous. Le besoin insatiable de devoir plaire jusqu’à de purs étrangers, ces entailles sur mes poignets, ce couteau comme un archet, mes tendons comme les cordes d’un violon, une musique cacophonique en arrière-plan et qui est tempête, est litanies, injures de mon inconscient à moi ou du subconscient à lui-même ou… L’émetteur doit être l’inconscient, de cela je suis certaine, mais le récepteur? Scindée en parties qui ne s’accordent pas si bien ensemble. La sensation, l’impression de toujours être de trop et jamais en accord avec moi-même, toujours décalée par rapport aux gens, à l’ambiance, aux circonstances. On me trouve indélicate, lente à comprendre, mon sens de la répartie est quasi inexistant. Pourtant, je ne suis pas une demeurée.

 

Pour tout dire, j’ai un baccalauréat. Je dessine le parcours de mon existence du bout des lèvres, car je chante pour gagner ma vie. Chanteuse, c’est ce que je suis. Je suis férue de musique expérimentale, je raffole des chants sacrés et corses. Je me cherche parmi les tréfonds d’une existence passée majoritairement à souffrir et si l’œil du typhon semble calme, il n’en demeure pas moins le centre de la dépression, univers au ralenti où tout est gris et où j’habite depuis que je suis jeune fille. Je crois que mes facultés en chant en sont altérées, comme si ma gorge était nouée, mes cordes vocales absentes à elles-mêmes, que ma vraie voix imitait ma véritable identité, se cachant au plus profond de moi pour survivre, et m’interdisant à jamais une existence savoureuse, investie de mes couleurs authentiques.

 

Alors que tu sois un homme, et comme mon père, du moins de par le fait que vous êtes tous deux des chercheurs, et que c’est la réalité qui vous a trouvés, puis gobés, après quoi elle a recraché votre colonne vertébrale et votre consistance avec, ça compte pour bien peu, car j’ai dans mon royaume clair-obscur plus d’une chimère à chasser et avec mon intuition à deux sous, j’aurai certainement l’heur de les dépecer et de me faire une robe avec leur peau de chagrin. C’est fou comme on peut renfermer autant de profondeurs et être pourtant si hermétique à soi-même, à ses rêves, ses besoins, son énergie sous-jacente et aveugle quand vient le moment de choisir le chemin qu’il faudrait emprunter. Mon chemin de croix est une spirale abyssale et commencer à marcher, c’est ne plus jamais s’arrêter. Qu’importent les heures de sommeil, je me réveille toujours épuisée. Les rêves sont des prédateurs-nés. Des créatures gouliafres qui se nourrissent sempiternellement de mon essence vitale. Ce sont des döppelgangers voleurs d’identité, car l’épuisement me prive de moi-même. On ne gagne jamais contre les songes. Ils sont symboles, sens, ce sont les leurres de l’esprit inconscient ou de l’inconscient collectif, je ne sais plus. Je m’embrouille dans ce dédale de concepts à gogo qui fait gazouiller le psychanalyste moyen de bon matin, car c’est à la fois son pain et sa planche et son beurre et… et l’argent du beurre. Faut-il payer pour contempler la lune? Je dépense tellement dans l’espoir de me retrouver et d’ailleurs, ai-je déjà vraiment existé, dans le sens plein du terme? Poursuis-je des aberrations miragineuses ou quelque chose d’intangible, mais ayant de la valeur?

 

Tu pourrais presque être mon paternel, à chercher un filon, et confus par tes propres contraintes et ta relation au monde. Celle-ci te laisse bien peu d’espace pour respirer, être spontané, vivant. Comment crée-t-on une relation organique et significative avec un homme presque aussi rigide et inerte que vivant? Ces derniers temps, tu prends étendues lacustres, rivières, courants fluviatiles et bords de mer en photo, juste avant l’heure du couchant. Comme papa, tu es un prestidigitateur offrant la peau du rêve au plus offrant, un être mirifique, féerique, séraphique, trop beau pour être vraiment là à mes côtés, lorsque j’ai besoin de ta présence chaleureuse, d’un câlin avec quelque chose de vivant au-dedans, de paroles rassurantes, de vitalité.

 

Tu verrais ton visage toujours jeune dans la glace, un faciès inexpressif, élastique, un miroir sur lequel on peut projeter du sens à l’infini, sans jamais savoir qui tu es, et on est en droit de se demander quand on te rencontrera pour de vrai. Le seul accroc, c’est qu’avec ou sans toi, je n’arrive pas à être moi-même, alors à quoi bon? À quoi bon nous deux ensemble ou moi, seule et morcelée, sans ta présence cacophonique, mais moins désolante qu’une absence quasi-totale d’humanité dans ce jardin de ronces qu’est ma flore psychoaffective? Tu cherches quelque chose, mais quoi, puisque tu te fuis toi-même chaque fois que tu joues un rôle devant ton public d’ombres voraces? Un jour, tu deviendras modèle, et l’art te dévorera véritablement. Mais pour l’instant, tu es dans mon lit, entre mes bras, tu as la consistance du sable et je suis l’océan qui lèche ton inconsistance, te déforme un peu plus à chaque étreinte. Finiras-tu noyé en moi comme papa en maman? De quoi seras-tu le naufragé, si toi et moi n’existons pas vraiment? D’un océan d’étoiles où nous nous réinventerions constellations, pour nous fondre dans le réel, très exactement. Et si quelqu’un, sur la plage ou au cœur de la forêt, nous contemple en ingérant des champignons magiques, peut-être nous hallucinera-t-il sous forme de spirale, chaque astre tournoyant autour d’un axe imaginaire, et une cascatelle d’étoiles filantes qui seront notre essaim organique de comètes, une véritable averse de corps célestes aux cheveux d’argent, les rejetons de nos espoirs les plus sincères, viendra à pourfendre l’ondée nocturne et c’est que nous aurons vraiment existé.

 

 

 

 

 

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