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Le Phonème Bohème
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Le Phonème Bohème
17 février 2015

Caroline

Je te revois: tu es là avec toute ta lumière, ton sourire, tes yeux qui brillent et ta gaminerie. Les minutes s'écoulent lentement, pourchassées par de petites et lentes secondes, à Pushkar. Le Spleen crève d'ennui. Un reflux temporel nous a contraint, ma belle et moi, à nous enfoncer la tête dans l'chameau d'une aiguille à deux bosses et ce, pendant près d'un mois. La vie est absurde comme un latino sous-éduqué mangeant des fajitas, dansant et hurlant dans un HLM de quartier pauvre de l'est d'un pays froid et déprimant qui pense un jour s'ériger hors de la pauvreté, qui s'imagine qu'on l'y a placé parce que cet endroit était bon pour lui ou parce qu'il avait des chances de devenir autre chose qu'un chauffeur de taxi. J'aime mon pays, ce pour quoi je voyage loin d'ici aussi souvent que possible. En Inde, pas de Québécois ou si oui, ils sont faciles à éviter dans lun océan de gens rendu floue par un sfumato sonore et olfactif rendu plus discordant par les coups de cornes de vaches se bornant à boire de l'eau grise et à manger du plastique.

On se fait conter fleurette par les vendeurs, les handicapés et les vieilles et moins vieilles dames. Un mec indien et musclé aux jambes atrophiées -aurait-il trop médité en lotus?-­ se fait aussi draguer, mais par une belle voyageuse. Je n'arrive pas à en croire mes yeux! Les femmes, tsé! Dans l'oeil d'une femme déjà apparait le mirage d'une franche érection, celle de l'homme qui a perdu l'usage de ses jambes, mais pas de sa bonté. Il est chaleureux, souriant, a bon coeur, son faciès n'est pas repoussant? Les femmes peuvent aimer. Elles savent faire ça.

Pushkar.... Paisible caravansérail pas d'caravane squatté par la mafia, les potiers, les tisserands, les éclopés, les familles pauvres tentant de vendre un enfant ou deux. Vieux fossile de vieille feuille figée quelque part entre les hanches du temps. Le vent pourrait finir sa job d'époussetage dans cette dump du désert. Ça serait pas un luxe, des fois que des squelettes de touristes dinosaures datant de l'avant-guerre viendraient à passer, durant leurs vacances de fin de vie. Mais non: le sirocco fait dodo! Le village est poussiéreux. Il se trouve au milieu d'un désert sec. Ses trente-mille habitants, qu'ils soient musulmans ou hindouistes, sont végétariens et ne mangent pas d'oeufs. S'il y a un bouddhiste errant qui demande la dîme, c'est qu'il s'est perdu durant son périple pour fuir l'occupation chinoise du Tibet. Et il mourra de faim dans les trente jours. Généreux les gens, icitte? Y a pas de mots pour le dire. Ici, nous sommes dans une ville sacrée. L'alcool aussi est prohibé. Seuls les touristes transgressent ce genre d'interdit, mangeant des crêpes et des scrambled eggs. Je dois avouer que ça serait excellent par moments. C'est le seul village où on trouve un bon café en deux mois de quête assidue. Le chaï ne me va plus. Il est servi cheap et brûlant dans des godets en plastique (miam cancer!!). Nous habitons au Chacha's Garden, à Pushkar. On est dans la cour, couverte de sable et clairsemée de cactus, car il n'y a pas de toit pour les priver du soleil. Toi, ma douce, tu es assise en petit bonhomme, tu es heureuse et tu nourris une tortue géante qui s'appelle Caroline. Tu viens de baptiser un saurien mâle d'une très joyeuse façon et d'un joli nom. Adorable, ta phase de déni! Tu as créé le premier reptile transgenre, si ça se trouve. Je suis heureux.

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Entre toutes les fois où je ne te demande plus de tenir ma main, où tu ne me demandes plus de te faire l'amour. Une tortue essaie de nous choper les doigts alors qu'on la nourrit de cantaloup, de carottes, de raisin. Je ne connais aucune autre femme au monde dont je puisse en un clin d'oeil déceler quand elle était dans son côté femme, son côté homme (un vrai mâle pas d'classe qui zieute les femelles à la ronde: la fistule du roi Lewis Fourteen n'était pas un rubis) ou son côté fillette. Trois facettes d'une femme simple et généreuse. C'est ce qui me rendait amoureux de toi. C'est ce qui me garde épris de toi, de ta vie, de ton voyage, de ton bonheur quand il est là. Tu sais jouir de tout ce qu'il y a de bon et accepter le mauvais. Et tu te lèves à quatre heures pour méditer. Tu es fabuleuse!

Tu es là accroupie dans la cour centrale du guesthouse, sous le ciel, les petons dans le sable. Tu parles gaiement à ta tortue, ta voix est jolie. Tu n'es pas la plus belle et certainement pas la plus féminine des demoiselles. J'adore ça. Tu es parfaite dans cette catégorie-là. Je te ferais des enfants. Plusieurs. Tu es celle qu'on voudrait épouser et qu'on "n'aura" jamais. Parce que toujours en voyage. Parce qu'infidèle. Parce que tu es trop aimante et aimable et bonne et humaine pour que je puisse te demander de ne pas me blesser. Tu vas partir une mode de sadisme mignon sur le plateau, tandis que d'autres font des milliers de dollars à la sueur de leur bouche.

Je me demande où tu as caché tes droits de la personne pour abîmer autant le coeur des autres, pour prendre autant sans avoir jamais osé demander quoi que ce soit. Même à moi. Qui voulait t'offrir du rêve, de l'espoir, de la sueur. Des caresses. Sans rire, la vie c'est fou. Tu es bien la seule femme dont j'ai pu me libérer et me passer facilement. Tu es la seule qui ait compté. Je ne veux pas parler de paradoxe de manière savante, ça ne ferait pas joli et pas très sincère dans mon histoire.

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Tu n'aimais ma prétention qu'un peu. De même, tu la détestais beaucoup. Au moins, elle était rivée vers toi. Pour une fois. Que Narcisse n'existe que pour prendre soin. Des autres. Mais à quel prix? Je repense toujours à ces histoires où tu allais seule au marché alors que je restais méditer à l'ashram. Tu revenais avec des fruits et les vendeurs t'arnaquaient. Je bouillais de crisse quand on se fichait de toi. Mais tu étais heureuse alors tout allait. Et assez bien. Un mois de presque crudivorisme, à manger des cachous crus. Ouuuui!!! Même les cachous étaient crus! Du sexe, presque jamais en deux mois. J'ai cru être le plus tendre, le plus romantique, le plus attentionné. En fait, j'étais peut-être le moins baisé et le plus méprisé, et c'est tout. 

Une journée, je grimpe dans le banian tree qui pousse au centre de l'ashram. Une essence géante et vénérable. Je vois la ville qui se construit autour du lac. Vois des gens, des vaches, des centaines de pigeons, ferme les yeux. Je médite le coeur nerveux. Tu es allée en ville chercher du tissu ou je saipakoi. Bruissement du vent a travers les feuilles. Des singes se balancent autour de moi. À sept mètres du sol. Vont-ils me mordre? Vais-je recevoir cette très douloureuse injection contre la rage? Tomber ma vie du haut de sept mètres d'écorce?

Difficulté à redescendre. Grippé comme Moscou les nuits où volent des sceaux d'eau glacée. Tremble, tremble, petit gringalet! Je redescend vers la terre sacrée de l'ashram. Tu reviens quelque instants après. On est en Inde. Pays que je trouve un peu fou et dangereux. Comment aborder la chose? Je préfère la cruauté d'un Indien à la bonté d'un occidental aux meilleures intentions? Je fais du gardiennage avec toi, à vrai dire. Je n'ose que rarement te laisser seule, j'ai peur des agressions. Tu pourrais maltraiter un Indien en fait! Tu es tellement imparfaite et c'est si bien vécu, j'adore ça!

Tu reviens avec des pommes-grenades. Du lait. La joie pour toi. Le yogi est content. Mais il ne t'aime pas. Jeunesse affriolante, joueuse, moqueuse un peu, la paresse coule en toi. Tu es l'après-midi sur la plage de ton Brésil chéri. Tu as la science de devenir un lieu incontournable pour une multitude de gens différents. 

Quelques jours plus tard, "the colors festival". On ne sort pas. Dangereux. Les autres touristes nous y convient. Je sais ce qui risque d'arriver. Jeunes hommes débarquant en bus, venus de d'autres villages pour plotter des filles blanches tout en leur lançant des pigments parfois toxiques sur les vêtements et d'autres fois de l'acide sur la peau, dans les yeux. La culture du viol à l'occidentale s'exporte bien (acceptez-le ou pas, j'm'en crisse!), ainsi que le mépris ocre à l'intérieur d'un oeuf de "Fabergé" contrefait. Elle s'agrippe à la première cargaison de sous-culture américaine et s'agglutine au pays des épices, dès son arrivée. Une touriste défigurée par de l'acide l'année d'avant vous le dira, si elle a le courage d'exhiber son visage poutiné devant vous. Anyway, tout le monde cache un petit "Jack in the box", j'ai l'impression. La fête des couleurs, une célébration rituelle que la jeunesse utilise pour faire le mal. Violer. Salir. Le vrai sacré. Les femmes en vie, dignes et en sécurité. IL N'EST PAS DANS VOS TEMPLES LE SACRÉ BANDE DE CHÈVRES SANS TÊTE, SI VOUS SALISSEZ LE BONHEUR DES FEMMES!

Nous, on reste tranquille à l'ashram. Le prof de yoga semble heureux de notre décision. Notre ami le libraire hindoue nous convie à aller à l'événement avec lui. Devant notre refus il reste surpris. Il aurait bien aimé te mamelonner, ma douce, si ça se trouve. Il va à la fête. Certaines amies voyageuses participent à la cérémonie festive. Et certains jeunes hommes débiles et clanistes de surcroît de déchirer qui une robe, qui un chandail... La plupart de ces demoiselles reviennent à l'ashram ou au guesthouse le torse dénudé, les vêtements en lambeaux, essuyant des larmes. Elles étaient pourtant accompagnées d'armoires à glace. Mais des vagues déferlantes de mollusques tordus aux yeux méchants... Ça se garde mal au congélo. L'instinct léonin s'offre en partage aux idiots cruels que seule une pluie torrentielle contraindrait à se cacher. Pis en général, le niveau n'est pas élevé du côté de l'humanité. D'la bière cheap, d'la téléréalité à la semaine longue, du sport de ginosaures, pis des totons à mamelonner ou à téter des yeux, pis tout l'monde est heureux, de facto. L'économie bivouaque sur ces bases. C'est une économie de moyens qui sait faire fi de toute forme d'éthique. La médiocrité est le frame de base de notre belle démocratie. Le fait que le psychisme d'un être humain soit fait pour survive d'une façon ou d'une autre après avoir commis l'horreur fera un bon vestige de preuve. Oups! La "chiâlure" déborde du pichet!

Je suis un chouilla rassuré que tu sois forte, charmante toi. Pour te préserver toi-même. Je comprends peut-être un peu pourquoi tu es dure avec tes hommes. On vit dans un monde de queues pis même si j'rêve d'égalité, j'sais bien que les rapports de domination et la culture du mépris vont bon train. La méfiance entre sexes, c'est comme un liant significatif, c'est comme le fil conducteur entre deux vases communicants. Le chaos vêtu de peau se cache dans son antre, armé d'un phallus comme épée et d'un vagogre comme bouclier. Tu peux aussi bien appeler ça l'esprit inconscient, mais j'comprends toujours pas pourquoi et comment une race a besoin de se méfier d'elle-même. Je sais bien qu'on est supra-différents, mais on est kâlissement semblables aussi, femmes et hommes.  

Le lendemain. Ioukioukiouk! Hideur de la ville d'habitude grise, dorénavant recouverte de mauve et de rose; du pigment partout pour colorer le désert. Diaprure exacerbée jusque sur le remous des dunes à l'extérieur de la ville. Des vaches vertes ou jaunes, des phacochères hispides bleutés et roses. J'ose. À peine marcher en sandales dans la rue. Avant j'étais à moitié nu et sans godasses, rien ou juste du poil. Maintenant, m'habiller davantage. Les "arc-en-ciels" de Zeus auraient aussi bien fait de rester à l'écurie. Chercher l'un de mes souliers qu'un singe ou qu'un enfant (même chose) m'a probablement volé. Vivace l'envie de quitter ce bled pourrit où les gens sont moins chaleureux que Caroline la tortue, que l'on retourne voir au Chacha's Garden une dernière fois. Nous nous esbignons loin de cette étendue de piaules somme toute étouffante, ayant parachevé sa nymphose urbaine pour devenir une maousse larve. 

Me souvenir de ce qu'on m'enseigne à l'université jamais je ne dois: ça occupe un espace bien trop important sous mon scalpe! Me remémorer nos moments mignons dans la vie et dans le soleil. À vivre l'amour et le couple dans un désert, loin de toute rumeur hiémale (j'aime pas l'frette pis l'humidité, Moïse!), dans des trains sordides où nous nous trouvions entourés de paysages hallucinants, improbables. De cela et de tout ce qui gravite autour de toi, toujours je souhaite m'en rappeler. Je ferai de l'alzheimer, je sais que je me rappelerai toi, de Varanasi où tu désirais finir tes jours, de notre séparation, de ton visage lumineux. T'aimer mieux que j'aime quiconque et dire au revoir parce que lorsque nos corps se croisent, nos têtes deviennent folles et nos coeurs n'ont pas de place pour battre. Une autre fois ça ira. Des oiseaux dans mon ciel, du chaï dans mon bol, toi en voyage et la joie. Rien que pour moi, pour nous, pour toi. Je te souhaite mille ans de bonheur pour chaque raisin que tu as offert en grappe à la petite tortue farouche et émerveillée qui vit en moi.

 

~Dusty and colourful ending~

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